Le prestige du musicien (un des plus grands auteurs-compositeurs du XXe siècle, et par ailleurs un Beatle), allié à celui du lieu à jauge réduite (2 500 places), créait l'événement avant que la moindre note ne soit jouée. La dernière fois que McCartney s'est produit dans l'Hexagone, c'était au Stade de France de Saint-Denis, qui peut accueillir plus de trente fois plus de spectateurs. Pour satisfaire les demandes, les organisateurs avaient choisi une voie plus démocratique : les places (à 55 et 77 €, à raison d'une par personne) étaient à retirer au guichet de la salle à partir de 11 heures. Un bracelet était remis pour lutter contre le marché noir.
Au matin, l'ébullition devant le fronton orné du nom de l'artiste en néon rouge est palpable à la présence des caméras de télévision et de reporters radio. La queue s'allonge sur le boulevard des Capucines et tourne dans la rue Scribe. Pour l'heure, les vedettes sont les téméraires, ceux qui ont passé la nuit sur le trottoir pour être certains d'entrer. Les premiers à régler leur place la brandissent triomphalement devant les caméras. Patrick, 58 ans, est le troisième servi. Ce fan historique des Beatles (il n'a pas assisté à leur unique concert à l'Olympia en 1964 mais s'est rattrapé l'année suivante au Palais des sports et a vu les Wings, le deuxième groupe formé par McCartney dans ce même Olympia en 1972) est arrivé dimanche à 13 heures "avec un sac de couchage et une couverture de survie". "Nous étions alors une dizaine puis une centaine en début de soirée, explique-t-il. Nous avons échangé du café et des céréales. Il y avait des guitares et nous avons chanté des chansons." Facile d'imaginer lesquelles.
7 HEURES D'ATTENTE À LA CAISSE
Munis de leurs sésames, ceux qui ont choisi l'orchestre (où les fauteuils ont été retirés pour laisser toute sa place au rock'n'roll) retournent aussitôt pointer dans une deuxième file afin d'être placés aux premiers rangs. Parmi eux, quelques sujets britanniques et une poignée de Japonais qui ont fait le voyage.
Avec quatre guichets en activité, le processus est laborieux. Ceux qui arrivent à 10 heures ne passeront à la caisse que sept heures plus tard. Et pourtant, on pouvait, en sortant du bureau, avoir une chance d'assister au concert. A 15 heures, il restait encore 500 places en vente. A trop communiquer sur une mission présentée comme quasiment impossible pour les spectateurs, les organisateurs ont peut-être fini par dissuader les candidats de tenter leur chance.
Cette agitation médiatique rappelle évidemment le dernier passage des Rolling Stones dans cette même salle. Sauf que le concert des vieilles pierres s'inscrivait dans le cadre d'une tournée mondiale et qu'ils jouaient également au Palais omnisports de Bercy et au Stade de France. McCartney, lui, s'offre l'Olympia pour un soir après avoir fait le même coup à Londres en juin, dans une petite salle, l'Electric Ballroom. "Son agent nous a appelé au début de l'été, explique Arnaud Delebarre, directeur général de l'Olympia. McCartney voulait jouer, je le cite, dans la plus belle salle du monde. Et il se souvenait des trois semaines passées à Paris avec les Beatles en 1964."
UN TRIPLE-DVD SUR SA CARRIÈRE SOLO
Dire qu'il est venu les mains vides serait inexact. Une conférence de presse a été organisée dont le prétexte est la présentation d'un triple-DVD retraçant sa carrière solo. L'objet est commercialisé par Warner alors que McCartney a récemment signé un contrat avec Hear Music, le label lancé par l'enseigne de cafés Starbucks Coffee. Son catalogue (et celui des Beatles) demeure chez EMI, sa maison de disques historique. Simple.
Un McCartney bonhomme accueille chaleureusement la presse en interprétant "Let It Be". Mais rien de passionnant n'émerge de la séance de questions qui ne doivent porter que sur des "sujets artistiques", manière élégante d'écarter toute indiscrétion sur sa vie privée et un divorce qui devrait être le plus coûteux de l'histoire de la Grande-Bretagne. Apparemment, aucun représentant des vilains tabloïds anglais n'a fait le déplacement pour gâcher la fête. On lui demande s'il n'est pas déjà venu à l'Olympia en 1961 en tant que spectateur avec son ami John Lennon. "Non, répond-il, c'était dans une boîte où chantait Vince Taylor. L'Olympia, c'était trop cher pour nous à l'époque." Et il dément avoir accepté de composer la bande originale de Shrek 4, tout en affirmant avoir aimé les aventures de l'ogre vert.
Les caméras sont aussi dans la salle. Le concert est filmé et sera diffusé par Canal+. Un DVD semble inévitable. Par chance, la mezzanine a son quota réglementaire de personnalités, dont l'arrivée est saluée bruyamment par la fosse : parmi ses pairs musiciens, Henri Salvador, Laurent Voulzy (son plus fervent disciple en France), M, Raphaël, l'Américaine de Londres Chryssie Hynde (qui fut très proche de son épouse défunte, Linda), Dani… Plus symboliquement, on remarque la présence de Sylvie Vartan, qui était inscrite avec Trini Lopez à l'affiche du fameux concert de 1964. La tension monte, ponctuée par la coda de "Hey Jude" chantée par le public.
"BLACKBIRD", LE MOMENT MAGIQUE
Une standing ovation salue l'entrée de l'artiste, particulièrement soigné. Il s'est glissé devant le lourd rideau rouge, en costume-cravate, une guitare sèche en bandoulière. Et attaque d'emblée par le picking de "Blackbird". Malgré quelques sifflements d'oiseaux intempestifs dans l'assistance, le moment est magique. Ce sera le plus beau de la soirée.
Car McCartney, plutôt frileux et conservateur quand il s'agit de toucher à son répertoire, ne profite pas de la particularité de la salle pour brusquer ses habitudes. Rapidement, son groupe se déploie pour jouer les chansons de son dernier album, le banal "Memory Almost Full", et des vieilleries dispensables (le gentillet reggae "C Moon"). Au moins évite-t-il de se contenter d'un best of en défendant ses dernières créations. Mais ses musiciens (deux guitaristes, un clavier, un batteur), sans doute efficaces pour le rock des stades, ignorent la dentelle : mur de guitares, sons de synthés pour remplacer les cuivres ("Got To Get You Into My Life") ou les cordes ("Eleonor Rigby") du studio. On croit par moments l'entendre accompagné par Aerosmith. C'est regrettable car l'intéressé est jovial, spirituel, concerné, visiblement obsédé par le fantôme d'Edith Piaf puisqu'il fredonne à plusieurs reprises "La Vie en rose". Et quand le gros son s'interrompt, que l'acoustique reprend ses droits, le charme opère pleinement : pour "I'll Follow the Sun" avec deux guitares sèches et une caisse claire caressée aux balais, ou une splendide version solo de "Here Today", écrite pour Lennon après son assassinat. Même "Michelle", inévitable à Paris, fait mouche avec son accordéon.
La puissance intemporelle des chansons de la deuxième partie parvient à faire oublier le groupe. "Band on the Run" donne le signal de la déferlante de tubes : "Back in the USSR", "I Got a Feeling" avec une fin improvisée qui voit McCartney prendre un solo sur sa Gibson Les Paul (on l'oublie souvent, mais cet homme était guitariste avant que le destin ne l'improvise bassiste), "Live and Let Die" (un thème de James Bond qui fera une seconde carrière en France comme générique de l'émission politique "L'Heure de vérité") puis "Hey Jude". Le " la-la-la-la " scandé par le public après son départ ramène aussitôt McCartney sur scène. Et assure une excellente transition pour la réalisation du DVD.
Le pilonnage continue pendant les rappels : "Let It Be", "Lady Madonna", "I Saw Her Standing There". L'Olympia danse, les lumières se rallument. Après une heure et demie et une vingtaine de titres, McCartney remercie "l'Olympia et Bruno Coquatrix" (un hommage posthume ?). Il reviendra une dernière fois pour "Get Back" ("To Where You Once Belonged"). Retourne d'où tu viens. Pour amical qu'il soit, le message a le mérite d'être clair.
Bruno LespritBeatles-Mania.com est articulé par Muzilab™ Divertissement | Privacy policy © 2024